RESUME
Depuis fort longtemps, le droit de propriété n’est plus un droit ni sacré ni absolu. Certes la liberté de vendre ses biens demeure en principe de manière très étendue. Mais parmi les conséquences de cette évolution, la liberté de disposer de ses biens à titre non pas onéreux, en étant assortie d’une contrepartie, mais gratuit sans contrepartie n’est plus sans limites, bien au contraire. Outre la forte pression fiscale qu’elle subit, laquelle est de nature à la dissuader, la gratuité est suspecte. Non sans raisons au demeurant. Reste que cette évolution peut légitimement engendrer des frustrations pour celui qui a construit toute sa vie durant un patrimoine, notamment immobilier, et dont la liberté de disposer est limitée pour gratifier les personnes de son choix, ou pour privilégier telle plutôt que telle autre, par l’effet d’une donation ou d’un partage. Sous réserve de ne pas s’exposer au grief d’une fraude, et surtout de ne pas s’exposer à un abus de droit fiscal par des montages imprudents ou croyant pouvoir être excessivement intelligents, la liberté contractuelle peut néanmoins retrouver la possibilité de s’exprimer comme cela sera exposé ci-après.
DEVELOPPEMENTS
Mise à part la forte pression fiscale auxquelles ils sont assujettis, laquelle ne sera pas abordée ici, les donations ou partages entre vivants sont assujettis à un régime juridique singulier. Ils ne sont pas en principe interdits du vivant du donateur, mais sont exposés à être reconfigurés dès après son décès et l’ouverture de sa succession. Autrement dit, un propriétaire peut en principe donner ou partager ce qu’il veut dans son patrimoine avec qui il veut, en exprimant de la sorte les – 2 / 5 – préférences qui sont les siennes par affection, amitié, gratitude ou autres inclinations qui lui sont personnelles, sous la réserve bien entendu de ne pas s’exposer aux discriminations qui sont interdites par la Loi. Mais ses décisions arrêtées de son vivant sont exposées à être remises en cause dès après son décès. Ce qui atteste un respect pour le moins relatif de la volonté du mort. Laquelle volonté individuelle d’une personne qui plus est disparue est alors confrontée désavantageusement selon une idéologie dominante avec diverses exigences considérées d’intérêt collectif et par conséquent supérieures, telles que l’égalité entre ses héritiers, la protection de la famille et notamment du conjoint survivant, voire l’idéal révolutionnaire du partage des héritages entre le plus grand nombre. La remise en cause de la volonté du propriétaire prédécédé se fonde alors principalement sur le droit des successions.
En France, le droit des succession est une matière parmi les plus complexes, avec la conséquence de donner lieu souvent à des contentieux épuisants pendant de très nombreuses années. Il multiplie les règles qui sont en principe dites d’ordre public, et qui ont pour effet de paralyser toute expression contraire de la liberté contractuelle. Sans entre dans les détails, cet ensemble de règles se répartit entre trois institutions que l’on ne retrouve pas dans d’autres pays, qui privilégient précisément la liberté individuelle et le respect dû à ceux qui ont construit un patrimoine non pas seulement dans leur intérêt individuel mais également au service de la Société tout entière. Ces trois institutions sont la réserve héréditaire qui interdit de priver certains héritiers d’une part de leur succession, la quotité disponible spéciale entre époux qui est destinée à favoriser le conjoint survivant, outre le rapport successoral institué au service de l’égalité entre les héritiers. L’articulation entre ces trois limitations est à tel point complexe qu’elle se révèle souvent incertaine en son résultat. A titre d’exemple, si elle entend favoriser des petitsenfants, une donation ordinaire doit respecter la réserve légale de ses enfants qui sont des héritiers réservataires 1. Dans le cas de trois enfants et plus, cette réserve héréditaire représente les ¾ de la succession 2. Même n’ayant pas d’enfants et n’ayant plus ses parents, le conjoint prédécédé ne peut pas disposer librement de sa succession en devant en réserver ¼ à son conjoint survivant avec lequel il a été marié. Et pour le cas où le conjoint prédécédé laisserait des enfants ou descendants issus ou non du mariage, il ne pourra disposer en faveur du conjoint survivant que dans la limite de la réserve légale ou de ¼ de ses biens en propriété et des autres ¾ en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement. La donation « au dernier » vivant souvent conclue entre époux mariés n’échappe pas à ces limitations complexes et à l’incertitude qui en résulte. La liberté de disposer de ses biens de son vivant en prévision de son décès est ainsi très fortement encadrée en France. En toute hypothèse, lorsque le conjoint prédécédé transmet à ses héritiers ou à des tiers une part de sa succession, qu’elle soit de ¼, de moitié ou de ¾, qu’elle s’exerce en pleine propriété, en nue-propriété ou en usufruit, elle s’entend d’une partie d’une masse de biens qui est constituée en indivision successorale. Cette indivision ne pourra pas perdurer dès après que les intérêts des coindivisaires successoraux divergeraient, avec la conséquence de ne plus pouvoir satisfaire la règle de l’unanimité qui régit en principe les indivisions. Elle devra alors faire l’objet d’un partage. Lorsqu’il ne peut pas se réaliser de manière amiable, ce partage ne peut alors qu’être judiciaire en exigeant de nombreuses années souvent épuisantes de procès et d’expertises.
Tel constat ne peut qu’encourager toute personne soucieuse de la transmission de tout ou partie de son patrimoine à organiser par avance sa succession, non pas seulement pour assurer la paix de sa famille mais également pour assurer le respect de sa volonté après son décès, y compris autant que de besoin sur plusieurs générations s’agissant de biens d’une certaine importance. A cet effet, le testament en même temps que la donation y compris dans le cadre d’un partage ne constituent en réalité que des instruments juridiques rudimentaires. Outre qu’ils sont exposés à être remis en cause par le droit des succession aussitôt après le décès, ils ne peuvent généralement pas être consentis en prévoyant pour leurs bénéficiaires l’obligation de respecter diverses charges, telles que par exemple la conservation d’un bien dans la famille, ou son entretien, voire ses éventuelles grosses réparations. Et lorsque telles charges peuvent être valablement prévues, elles peuvent toujours être remises en causes postérieurement au décès par une décision judiciaire.
Mis à part les instruments juridiques habituels, la création d’une société, le plus souvent une société civile immobilière concernant des immeubles, ayant pour objet de recevoir, et autant que de besoin de conserver, de réparer et d’exploiter divers biens, constitue une alternative bien connue. La supériorité essentielle d’une personne morale par comparaison avec une personne physique étant qu’elle peut quasiment perdurer quasiment indéfiniment. Un autre avantage essentiel bien connu est la possibilité éventuelle de diviser son capital social sur mesures, de telle sorte qu’il soit aisément divisible et répartissable entre les différentes personnes dont la gratification est souhaitée, par exemple 300 parts sociales s’agissant de gratifier un conjoint survivant et deux enfants. Un avantage moins connu qui est celui spécifiquement d’une société civile immobilière par comparaison avec d’autres sociétés, et qu’il convient de souligner ici, est l’étendue de la liberté contractuelle qui régit la rédaction de ses statuts. Tout ou presque est possible dans les statuts d’une telle société, pour satisfaire la volonté de son fondateur qui la crée, y compris postérieurement à son décès voire sur plusieurs générations. Ces statuts pourront par exemple prévoir des charges devant peser sur ses associés, y compris sous la sanction d’une éventuelle exclusion. Ce qu’un testament ou une donation sont souvent impuissants à instituer, notamment dans la durée. Ils pourront prévoir l’exclusion d’un associé en cas de mésentente, laquelle est impuissante en principe pour remettre en cause un testament ou une donation. Le tout avec une grande souplesse puisque les statuts d’une société peuvent être modifiés pour être adaptés à des situations familiales évolutives, dans le respect des conditions qui auront été prévues à cet effet par son fondateur, à la différence d’une donation ordinaire qui est irrévocable. Sans discussion possible, les statuts d’une société civile immobilière constituent un instrument juridique infiniment plus puissant, plus souple et plus sur juridiquement qu’un testament ou une donation au service de la liberté d’un propriétaire de disposer de son patrimoine.
Reste à comprendre comment opérer concrètement la transmission d’un bien par l’intermédiaire de la constitution d’une société. Le procédé se comprend aisément dans le cadre d’un exemple considérant l’hypothèse d’un père de famille souhaitant transmettre un bien immobilier à un seul de ses enfants, ou à l’un de ses petitsenfants majeur directement. La société civile immobilière sera constituée avec un capital modeste, par exemple 100 € ou 1 000 €, divisé en 100 ou 1000 parts sociales, en prévoyant que le père ne souscrit qu’une seule de ces parts, tandis que son fils devant être le deuxième associé en souscrira le reliquat. Ce par un apport en numéraire modeste de 99 € ou de 999 € selon les cas. Les statuts de la société seront rédigés pour satisfaire les projets du père de famille avec toute la liberté qui sera la sienne en pareille matière. De la sorte, l’associé majoritaire, savoir le fils du propriétaire, devient immédiatement le propriétaire du bien, ce de manière indirecte par l’intermédiaire de la société dont il détient 99 % ou 99,9 % du capital social. Telle distribution pouvant être adaptée avec un nombre illimité d’associé en considération de chaque situation familiale, notamment dans les familles recomposées.
Deux procédés distincts peuvent être envisagés pour transmettre le bien immobilier à une société. Le premier est celui d’un apport du bien à la société au moment de sa constitution ou postérieurement. Mais il ne pourra pas donner satisfaction dans le cas présent en ce qu’il imposerait une répartition du capital social au prorata de la valeur de apports de chaque associé, avec la conséquence de réserver la majorité du capital social au père, à l’inverse de ce qui est souhaité. Procéder autrement impliquerait une donation déguisée répréhensible fiscalement, ce qui est évidement fortement déconseillé. Reste le deuxième procédé seul envisageable, qui est celui d’une vente du bien à la société. A cet effet, la société doit contracter un crédit immobilier selon les conditions habituelles des crédits aux particuliers pour pouvoir en payer le prix, sous peine encore de requalification fiscale en une donation déguisée. Ce crédit ayant été accordé, la vente immobilière est reçue en l’étude d’un notaire qui en paye le prix au propriétaire vendeur, diminué des habituels frais de notaire. Comme indiqué, l’associé détenant la quasi majorité des parts sociales devient indirectement le propriétaire de l’immeuble par l’intermédiaire de la société, sans même attendre le complet remboursement du crédit immobilier. Lequel crédit sera remboursé par la location du bien 3, soit au propriétaire initial lui-même, soit à son fils, soit à des tiers. Cette opération quelque peu tombée en désuétude est connue de longue date par les notaires sous la dénomination de « vente à soimême », ou en anglais « owner’s buy out » (OBO). Comme indiqué, elle peut être suivie d’une « location à soi-même » lorsque le propriétaire vendeur conserve la jouissance de son bien. En même temps, elle constitue une opération de financement dès lors que le propriétaire vendeur reçoit le prix de la vente après déduction de ses frais, lequel est déterminé au plus près de sa valeur vénale de marché. De ce point de vue, la « vente à soi-même » ressort infiniment plus avantageuse que le viager qui impose des décotes vertigineuses du bien. Dès lors que la vente n’est pas une donation, elle n’est exposée à aucune remise en cause sur le fondement du droit des successions. L’opération peut encore être affinée en prévoyant des démembrements des parts sociales de la société distinguant entre leur nue-propriété et leur usufruit, de telle manière que le propriétaire vendeur en conserve le contrôle de son vivant jusqu’au jour de son décès quand bien même il ne détient qu’une infime minorité de son capital social. Le même résultat pouvant être également atteint par la rédaction de ses statuts. Ce sous la réserve comme toujours de ne pas succomber à une éventuelle fraude, ou un abus de droit fiscal.
Notes Bas de page
1 Les parents ont perdu leur qualité d’héritiers réservataires depuis une loi du 23 juin 2006 avec l’objectif de privilégier le conjoint survivant
2 2/3 en présence de 2 enfants, la moitié de la succession en présence d’un enfant unique
3 Un crédit vendeur pourra être prévu pour compléter les loyers reçus, donnant lieu à un compte courant d’associé exigible après l’entier remboursement du crédit immobilier.