RESUME
Le financement non pas seulement des retraites mais également de la dépendance constitue l’un des grands défis pour la France, et en même temps une grande inquiétude pour tous les français, sans que des solutions étatiques semblent pouvoir prospérer. Voici déjà presque 20 ans, une loi du 23 mars 2006 inspirée par le Président Sarkozy avait poursuivi l’objectif de permettre la monétisation des biens immobiliers des français, lesquels représentent ensemble réunis un volume d’actifs se comptant en milliers de milliards d’euros. Ce en institutionnalisant le crédit viager hypothécaire remboursable in fine en capital et intérêts au jour du décès, en relation avec les établissements de crédit. Avec le constat d’évidence que la valeur des patrimoines immobiliers constitués par une majorité de français pourrait contribuer amplement à ce besoin de financement, en réservant les aides sociales aux plus humbles n’ayant pas pu constituer pareil patrimoine durant leur vie professionnelle. Malheureusement, la crise financière de 2008 a privé cette réforme de l’application qui en était attendue des établissements de crédit. La question de la monétisation des patrimoines immobiliers qui ont été constitués par eux tout en leur permettant d’en conserver la jouissance jusqu’au jour de leur décès n’est pas épuisée pour autant. Plusieurs solutions concurrentes peuvent se prévaloir du droit commun des contrats régi par le Code civil depuis 1804, et sont bien connues des notaires. Avec l’intérêt d’en comparer ci-après les mérites respectifs.
DEVELOPPEMENTS
La monétisation d’une chose s’entend de manière générale de la transformation de celle-ci en argent, autant que faire se peut à sa valeur vénale de marché. Elle implique à juste titre dans l’esprit du plus grand nombre la conclusion d’une vente, par laquelle le vendeur reçoit un prix en contrepartie de la délivrance de la chose à l’acheteur 1. En même temps que la chose est délivrée à l’acheteur, sa jouissance est également transférée à celui-ci. Ce qui signifie que dans son principe, la vente d’un bien conclue avec l’objectif de le monétiser, c’est-à-dire d’en recevoir la valeur, apparait antinomique par elle-même avec la conservation de sa jouissance 2. En vertu de l’article 1628 du Code civil, le vendeur doit garantie à l’acheteur de son fait personnel, sans qu’aucune clause ne puisse écarter cette garantie. Tout montage contractuel prétendant permettre à un propriétaire de son bien de le vendre à un tiers et en même temps en conserver la jouissance pourrait apparaître frauduleux, aussi bien d’un point de vue civil que fiscal. Tel n’est pas le cas néanmoins, car les dispositions du Code civil réservent une grande liberté contractuelle aux propriétaires qu’il importe de mettre en lumière. Car celle-ci est finalement assez méconnue, avec la conviction que tout ce qui n’est pas expressément autorisé serait devenu interdit par inversion du principe ancien qui nous régissait.
La meilleure démonstration de cette réalité est la possibilité pour le propriétaire qui vend son bien à un tiers acheteur de conclure avec lui un bail d’habitation. Pour autant, cette possibilité demeure très imparfaite et limitée aussi bien dans son principe que dans sa réalisation. L’exigence en effet de conclure un bail d’habitation réduira considérablement l’intérêt des acheteurs potentiels, avec la conséquence dans le meilleur des cas d’une décote du bien, et dans le pire des cas de l’impossibilité de trouver un acquéreur. En toute hypothèse, le confort psychologique d’un propriétaire devenant de la sorte simple locataire ne peut que se dégrader considérablement, avec les risques dans le meilleur des cas d’augmentations considérables et imprévues de son loyer, et dans le pire des cas du non renouvellement de son bail. Tel constat rendant cette formule impraticable concrètement concernant particulièrement des propriétaires âgés ou potentiellement en situation de faiblesse.
Une autre formule rendue célèbre par le l’œuvre qui lui est consacrée 3 est le viager, ou plus précisément la vente en viager, laquelle adapte la vente traditionnelle, qui est un contrat instantané et dépourvu d’aléa 4, pour en faire un contrat déroulant ses effets dans le temps pendant la survie d’une ou plusieurs têtes, en pratique le ou les vendeurs, et par conséquent aléatoire en ce que la durée de ladite survie est intrinsèquement aléatoire sans pouvoir être déterminée par avance 5. Le viager peut être conclu occupé en offrant la possibilité pour le vendeur de recevoir une importante somme d’argent, désignée par le bouquet, en même temps qu’une rente viagère exigible pendant la survie de la ou des têtes désignées par le contrat, en sus de la jouissance du bien qui lui ou leur est réservée jusqu’au(x) décès convenus. L’attraction instinctive pour cette opération ne doit pas néanmoins empêcher de bien y réfléchir avant de s’y engager. Le caractère essentiellement aléatoire de la vente en viager emporte diverses conséquences pratiques lesquelles réduisent considérablement son champ d’application. Compte tenu de leur appétence plus que limitée au risque et aux aléas, aucune banque ne consent généralement à financer une acquisition en viager, avec la conséquence que le vendeur en viager devra trouver un acquéreur pouvant financer son acquisition avec ses seuls fonds propres. Ce qui limite en soi déjà considérablement la possibilité de conclure pareille vente, outre les délais très longs qui s’imposeront le plus souvent pour trouver pareil acquéreur. Une deuxième conséquence pratique se déduit de ce que l’aléa de la vente est d’autant plus considérable que le ou les vendeurs sont jeunes. Pas d’autre possibilité pour limiter autant que faire se peut cet aléa que de réserver la vente en viager aux propriétaires d’un âge certain, le plus souvent par-delà 70 voire 80 ans. De surcroît, la vente en viager ne peut en pratique jamais être conclue en faveur d’un héritier, sous peine de se trouver fiscalement exposée à être requalifiée en une donation déguisée, et exposée aux conséquences d’une fraude fiscale. Elle ne peut donc être conclue que par des propriétaires dépourvus d’héritiers, sauf leur volonté de priver leurs héritiers de leur patrimoine immobilier. Ce qui limite d’autant plus son champ d’application.
Surtout, un examen plus attentif des conditions de la vente en viager révèlera ciaprès diverses constatations la rendant potentiellement inacceptable. La première d’entre elles est la décote du bien dépendant de l’âge du ou des vendeurs qui leur est imposée, ce par application d’abaques ou de savants calculs qu’une personne normalement intelligente ne pourra jamais comprendre. En pratique, s’agissant d’un viager occupé et que la vente soit assortie ou non d’un bouquet, le vendeur doit accepter une décote de son bien de 40 % s’il a plus de 80 ans, de 50 % s’il a plus de 70 ans, et pouvant atteindre 60 % à l’âge de 60 ans. Pareilles décotes immobilières ne seraient évidemment acceptables par aucun vendeur dont l’âge, la maladie, la dépendance ne les contraindraient pas à les consentir, à supposer qu’ils puissent en comprendre la détermination qui leur est imposée. De ce point de vue, la vente en viager confine à un abus de dépendance économique voire à un abus de faiblesse. A cette décote, il convient d’ajouter encore le risque d’insolvabilité de l’acquéreur qui s’est engagé à payer une rente viagère, sachant que le champ d’application des procédures collectives, anciennement dites de faillite, a été considérablement étendu, en pouvant conduire à un effacement complet de la dette. Ce qui explique le développement commercial des ventes viagères dépourvues de la rente viagère habituellement prévue. Pour finir, la rente viagère est exposée à une fiscalisation, avec la conséquence d’ajouter des impôts à tous ceux déjà acquittés sur les revenus ayant permis la constitution d’un patrimoine immobilier. Ce constat explique que diverses formules d’amélioration du viager sont proposées sur le marché, en recourant à une assurance pour couvrir le risque de survie du vendeur, en tentant de l’institutionnaliser par la proposition d’acquéreurs institutionnels présumés solvables, ou en l’organisant avec un simple bouquet dépourvu de rente viagère. Reste que la décote vertigineuse du bien subsiste dans tous les cas, et s’accroit encore à mesure que les services accessoires proposés se multiplient.
Une opération concurrente se rapprochant au viager avec l’objectif d’en éradiquer l’aléa est le démembrement de propriété par lequel le propriétaire vendeur ne cède que la seule nue-propriété de son bien (l’abusus), en en conservant l’usufruit (lequel réunit l’usus et le fructus), avec la possibilité de la sorte de recevoir le prix de la nuepropriété vendue en conservant la jouissance du bien en même temps que la perception de ses éventuels loyers. Par application des règles fiscales, la décote appliquée à la valorisation de la nue-propriété apparait infiniment moins pénalisante que celle exigée par les viagers, savoir seulement 20 % à l’âge de 80 ans en lieu et place d’une décote de 40 % pour le viager. Par comparaison avec le viager, la cession de nue-propriété est un contrat instantané et dépourvu d’aléa, en excluant tout risque d’insolvabilité de l’acquéreur dès lors que le transfert de propriété du droit démembré ne s’opère qu’après entier paiement du prix convenu. De ce point de vue, la cession de nue-propriété ressort déjà infiniment moins lésionnaire et risquée que la vente en viager. Pour autant, elle a pour conséquence d’exiger l’accord en même temps du vendeur devenu usufruitier et de l’acquéreur devenu nupropriétaire concernant tous actes de disposition et d’administration de l’immeuble, outre toutes les possibilités de litiges conservant les décisions de simple conservation de celui-ci. Tels écueils ont pour conséquence de dissuader les banques de financer pareilles opérations dès lors que l’immeuble devant servir d’assiette à une hypothèque est exposé à pareils risques. Avec la conséquence qu’elles ne trouvent quasiment jamais acquéreur, et qu’elle exigent en toute hypothèse beaucoup de temps pour le trouver.
Une autre opération connue de longue date par les notaires mérite de subir la même analyse comparative de ses avantages et inconvénients. Cette opération est habituellement dénommée « vente à soi-même » ou « owner’s buy out » (OBO). Elle consiste pour le propriétaire d’un bien à constituer une société à laquelle il décide ensuite de vendre son bien. Cette société est généralement pluripersonnelle en réunissant plusieurs associés, mais elle peut être également unipersonnelle, bien que le recours à une société unipersonnelle exige soit déconseillée. Cette société est le souvent constituée avec un capital social modeste pouvant être déterminé arbitrairement de la manière la plus libre entre ses associés. Par exemple 100 € ou 1 000 €. Elle peut réunir parmi ses associés le ou les propriétaires vendeurs en même temps que son conjoint, un ou plusieurs enfants ou autres parents, voire tous autres tiers. Cette société peut être une société civile dite immobilière, une SARL ou une société par actions. Il est conseillé de constituer une société différente pour l’apport de chaque immeuble, quand bien même le cout de leur gestion peut en être augmenté. La société devient ensuite juridiquement la propriétaire du bien par l’effet d’une vente classique reçue en l’étude d’un notaire entre elle-même et son propriétaire. Pour les besoins de la réalisation de cette vente et du paiement de son prix, la société ainsi constituée souscrit un crédit bancaire. Le vendeur reçoit ainsi le prix de la vente correspondant exactement à la valeur de son bien, diminuée des droits de mutation entre vifs, lesquels concernent toute vente immobilière, ainsi que des éventuels frais d’agence, sachant qu’il peut même réaliser l’économie de ces frais d’agence s’il constitue lui-même sa société, ou s’il saisit son notaire à cet effet. De la sorte, cette opération constitue un procédé de financement qui permet d’atteindre l’objectif poursuivi, savoir la monétisation du bien vendu. Elle réserve de surcroît la possibilité pour le propriétaire de conserver indirectement le bien qu’il lui a vendu par l’intermédiaire de cette société. Soit parce que la société a été créée en accordant au propriétaire vendeur la quasi-totalité du capital social, ou tout au moins sa majorité, ce qui lui en réserve le contrôle. Soit, dans l’hypothèse où il est a décidé d’être minoritaire, voire de ne détenir qu’une seule part sociale, parce que les statuts de la société ont été organisés pour néanmoins lui en réserver le contrôle, ce qui est parfaitement envisageable. Un éventuel démembrement des parts de la société pour en diviser la nue-propriété et l’usufruit pourra conduire au même résultat avec certains avantages supplémentaires. Dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, le propriétaire vendeur pourra conclure un bail d’habitation avec la société créée par lui dont il se sera réservé le contrôle. Tel bail pouvant être désigné comme une « location avec soi-même ». Ce en bénéficiant de la sorte d’un confort psychologique incomparable par comparaison avec la conclusion d’un bail d’habitation auprès d’un tiers.
L’avantage essentiel de la « vente à soi-même » ou « owner’s buy out » (OBO) par comparaison au viager est que cette opération n’implique absolument aucune décote de la valeur du bien immobilier. Celle-ci n’est pas même envisageable, puisque le droit fiscal exige que la vente s’opère au plus près de la valeur vénale du bien. Par comparaison avec le viager, la différence ressort plus que considérable. La « vente à soi-même » concerne toutes les classes d’âge sans être réservée aux seuls propriétaires âgés ou très âgés. Elle peut être conclue en associant dans la société des héritiers avec l’objectif de conserver le bien dans la famille sans s’exposer à la présomption légale de donation. Et elle trouve ses financement bancaires de la même manière qu’un crédit immobilier habituel à destination des particuliers. Pour finir, elle n’exige pour la conclure que le seul délai d’obtention d’un crédit immobilier, sans devoir attendre des mois ou des années pour trouver un acquéreur comme tel est le cas dans le cadre d’une vente classique.
De plus fort encore, l’opération de financement initiale peut se doubler d’une opération de gestion patrimoniale permettant la transmission de biens immobiliers en prévision d’une succession, au profit de ses enfants, du conjoint survivant voire de tiers étrangers à la famille. Ce en jouissant de toute la liberté contractuelle qui régit la rédaction d’une société civile immobilière. Dès le jour même de la réception de la vente en l’étude d’un notaire, un associé détenant la majorité des parts ou actions dans la société devient indirectement le propriétaire du bien vendu à la société, avant même le complet remboursement du crédit, et alors même que le propriétaire vendeur conservera le contrôle de la société jusqu’au jour de son décès. Comme déjà indiqué, l’hypothèse peut être envisagée dans laquelle il est prévu que le propriétaire vendeur détient une seule part ou action, alors que la totalité du capital social appartient pour le surplus au conjoint, à un enfant en particulier, à un neveu ou nièce, ou à quelque autre tiers devenant de la sorte propriétaire indirectement par l’intermédiaire de la société ainsi constituée. Sous cet éclairage, les statuts de cette société constituent un instrument juridique infiniment plus performant et sur qu’une simple testament ou une donation, s’agissant d’organiser avec une très grande liberté les relations entre ses associés de leur vivant et après leurs décès, y compris sur plusieurs générations. Par comparaison avec une donation simple qui est irrévocable, ces statuts peuvent être modifiés en cas de mésentente entre les associés, incluant la possibilité de l’exclusion pure et simple d’un associé. Ils peuvent interdire l’entrée dans la société d’un héritier par l’effet d’une clause d’agrément. Par comparaison avec un testament ou une donation « au dernier vivant » qui présentent le risque de pouvoir être révoqués unilatéralement, les statuts pourront prévoir les conditions et modalités de leur modification. Ce avec le double avantage que cette modification ne pourra pas demeurer secrète, à l’égal d’un testament ou d’une donation « au dernier vivant », et qu’elle ne pourra pas se réaliser sans l’accord du bénéficiaire de telle manière à interdire par avance toute mauvaise surprise. L’avantage de la vente ainsi organisée est que la liberté contractuelle du propriétaire vendeur n’est limitée ni par la réserve héréditaire ni par le rapport successoral puisque, sous réserve de la preuve d’une fraude à la charge de celui qui l’invoque, elle ne constitue ni une donation, ni un testament. Avec la conséquence de permettre au propriétaire de retrouver toute sa liberté contractuelle pour disposer de son patrimoine de son vivant. La liberté contractuelle régissant les statuts de cette société permettra d’organiser sur mesures par avance toutes sortes de situations, y compris les plus complexes dans le cadre par exemple de familles recomposées. Etant rappelée néanmoins la nécessité de ne pas franchir les quelques interdits demeurant, et surtout de ne s’exposer ni aux conséquences de la fraude, ni à celles d’un éventuel abus de droit fiscal par des montages imprudents ou croyant pouvoir être excessivement intelligents.
Notes Bas de page
1 En droit français à la différence d’autres droits, le transfert de propriété de la chose n’est qu’un effet légal de la vente, et non pas une obligation contractuelle à la charge du vendeur
2 Traduction légale de l’adage latin par lequel qui doit garantie ne peut pas évincer
3 Le viager, de Pierre Tchernia et René Goscinny en 1972 avec Michel Serrault, Michel Galabru, Rosy Varte, Claude Brasseur, etc. Une vieille maison de Saint-Tropez donnant sur la Méditerranée, comme celle détenue par Martinet et vendue en viager à la famille Galipeau. En 1930 à Paris, le jour de Noël, Louis Martinet, célibataire de 59 ans, est ausculté par le médecin généraliste Léon Galipeau. Ce dernier l’estime usé, n’ayant plus que deux ans tout au plus à vivre, sans toutefois le lui dire. Il lui suggère de prendre sa retraite anticipée, mais Martinet n’en a pas les moyens. Cependant, son seul bien est une modeste maison de campagne dans un petit village de pêcheurs alors méconnu : Saint-Tropez. Sans enfant, épouse, liaison ou ami, Martinet se voit proposer par le médecin de vendre sa maison en viager. Léon Galipeau convainc son frère Émile de s’engager dans ce viager, une bonne affaire selon lui, puisque Martinet semble en mauvaise santé …
4 La vente entre dans la catégorie des contrats commutatifs au sens juridique du terme, qui s’oppose aux contrats aléatoires.
5 Dans le scénario du Viager, la survie va perdurer plus longtemps que prévu engendrant chez le crédit preneur un instinct de meurtre, fort heureusement déjoué.