RESUME
Les sociétés civiles immobilières de droit commun, que l’on appelle parfois sociétés de gestion immobilière, exercent un pouvoir d’attraction considérable sur les propriétaires ou futurs propriétaires immobiliers. Leur objet social défini par leurs statuts consiste dans l’acquisition en même temps que la gestion d’immeubles sous la forme généralement d’une mise en location. Elles constituent pour les particuliers un instrument remarquable de gestion patrimoniale. L’attraction qu’elles exercent conduit souvent leurs fondateurs à les constituer sans aucune véritable réflexion préalable concernant leurs avantages et leurs inconvénients, lesquels peuvent être considérables. Ce qui peut conduire à de grandes déceptions, notamment lorsque la société a été créée pour des raisons principalement fiscales. L’étude ci-après propose une courte synthèse de ces avantages et inconvénients.
DEVELOPPEMENTS
Le succès des sociétés civiles immobilières tient avant tout au constat qu’elles constituent un très puissant instrument de gestion patrimoniale, lequel tient essentiellement à la dématérialisation de l’immeuble. Un immeuble est en effet le prototype de la chose corporelle, immobile par nature et dont les mutations sont assujetties et sécurisées par l’intervention d’un notaire jouissant du monopole d’accès à la publicité foncière. Sa « mise en société » transforme la pierre en parts sociales. Lesquelles sont des choses incorporelles, essentiellement mobiles, dont les cessions peuvent intervenir sous seing privé sans même l’intervention d’un professionnel du droit. De manière générale, l’histoire du droit démontre que la dématérialisation des objets corporels a toujours eu pour conséquences de libérer voire de débrider l’imagination juridique, par la création de nouvelles figures hybrides poursuivant des objectifs divers non pas seulement patrimoniaux mais pouvant être également fiscaux. Ce avec les risques en résultant nécessairement 1. Concernant les sociétés civiles de droit commun, celles-ci ne sont régies que par une réglementation juridique embryonnaire figurant dans le code civil, ce qui laisse une place considérable à la liberté contractuelle pour en adapter les statuts à toutes sortes de situations familiales ou patrimoniales. Leurs fondateurs peuvent ainsi concrétiser toutes sortes de fantasmes juridiques qui leur seraient interdits dans d’autres formes sociétaires, en organisant par exemple une gérance à vie, voire une gérance héréditaire, créer des parts sociales assortie d’un droit de vote plural pour qu’une minorité d’associés puisse imposer sa loi à la majorité, voire autoriser les associés à utiliser la trésorerie de la société ou son crédit dans le cadre de garanties sans s’exposer à une condamnation sur le fondement d’un abus de bien social. Selon l’expression du plus célèbre des fiscalistes français, les associés d’une société civile immobilière vont pouvoir « jouer avec les droits sociaux comme d’autres jouent aux cartes : on pourra sans peine les battre, les distribuer, les combiner, les faire circuler,…» 2.
De ce point de vue, la société civile immobilière constitue un instrument juridique infiniment plus performant au service de la transmission d’un immeuble, entre vivants ou à cause de mort, que les autres instruments tels que le testament ou la donation, qu’il s’agisse d’une donation ordinaire, d’une donation au dernier vivant entre époux mariés, ou d’une donation-partage, lesquels ne sont en réalité que des instruments juridiques très rudimentaires. La constitution d’une société civile peut ainsi servir la conservation d’un immeuble y compris sur plusieurs générations, prévenir les contentieux successoraux épuisants pendant des années voire des dizaines d’année. Lorsqu’elle est assortie d’un crédit immobilier, elle peut même organiser des opérations de financement pour compléter une retraite, financer une reconversion professionnelle, les études ou l’établissement de ses enfants, la maladie ou une invalidité. Ou encore refinancer une entreprise au service de sa survie. L’on comprend alors mieux son pouvoir attractif au regard des services à tel point multiples qu’elle peut rendre en même temps que la liberté contractuelle à tel point grande qui la régit.
Sans même envisager ici aucun montage complexe, il importe néanmoins pour se convaincre du risque encouru de se souvenir que la pierre constitue un actif par nature dépourvu de dettes 3, à la différence d’une société qui est pourvue d’un patrimoine pouvant donner lieu à un passif apparent ou occulte. Une société civile peut ainsi subir les affres d’une procédure collective dite anciennement de faillite, à laquelle un immeuble par lui-même n’est pas exposé. Une société civile exige également une gestion conforme à la loi et à ses statuts, en pratique la reddition annuelle d’une comptabilité régulière, toutes déclarations fiscales requises outre la convocation et la tenue régulière d’assemblées générales annuelles, donnant lieu à la rédaction de procès-verbaux. Soit autant d’obligations donnant lieu à une charge financière annuelle laquelle est souvent évacuée par les familles dans le cadre de sociétés civiles immobilières dites familiales. Ce avec le risque que la société soit considérée comme fictive pour ne pas avoir la vie sociale requise conformément à la loi, en pouvant emporter de lourdes conséquences d’un point de vue patrimonial fiscal. Sans même entrer dans d’autres considérations plus approfondies, l’évidence s’impose que la constitution d’une société civile immobilière exige de s’assurer préalablement dans chaque situation que ses avantages sont supérieurs à ses inconvénients.
Quelques conseils élémentaires s’imposent néanmoins de manière générale à l’intention du ou des éventuel fondateurs d’une société civile immobilière. Pour les besoins de la constitution de pareille société, la rédaction de ses statuts exigera en premier lieu un soin infiniment plus exigent que la rédaction des statuts d’autres formes de société telles que la SARL ou ceux d’une société anonyme, y compris ceux d’une SAS. La première raison est que la délimitation de l’objet social telle qu’elle est inscrite dans les statuts emporte des conséquences juridiques rigoureuses que l’on ne retrouve pas dans la SARL ou les sociétés par actions. La deuxième raison, la plus importante, est que l’extrême liberté contractuelle qui la régit exige la compétence requise pour l’exercer en connaissance de cause, sous peine de jouer aux apprentis sorciers avec les risques en résultant. La détermination de son capital social dépendra selon l’une ou l’autre de deux hypothèses. La première est celle dans laquelle l’immeuble fait l’objet d’un apport en société, donnant lieu à un capital social élevé à concurrence de la valeur vénale de l’immeuble. La deuxième hypothèse est celle dans laquelle fait l’objet non pas d’un apport en société mais d’une vente à la société, assortie généralement dans ce cas d’un crédit immobilier. Cette deuxième hypothèse éserve de la sorte la possibilité d’un capital social modeste, par exemple 100 € ou 1 000 €, et surtout la liberté de distribuer arbitrairement les parts sociales entre ses différents associés en considération des objectifs patrimoniaux poursuivis spécifiquement par la société. De la sorte, le propriétaire vendeur de l’immeuble peut ne détenir qu’une seule part sociale, tandis que son conjoint ou un enfant en détiendrait le reliquat en totalité, ce tout en conservant le pouvoir de direction de la société jusqu’au jour de son décès, avec la conséquence que le deuxième associé devient indirectement par l’intermédiaire de la société le propriétaire de l’immeuble dès après la réception de la vente par le notaire, sans même attendre l’entier remboursement du crédit immobilier 4. Il faudra ensuite déterminer l’option fiscale entre l’assujettissement à l’impôt sur le revenu, qui emporte sa transparence fiscale, ou l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés qui exerce une attractivité renforcée depuis l’institution du PFU 5. Ce qui exigera d’examiner chaque situation patrimoniale pour mesurer l’intérêt de l’option choisie, l’exercer autant que de besoin de manière régulière ce qui peut soulever des difficultés, voire la possibilité de la révoquer. Il s’agira encore de comprendre que l’immeuble apporté ou vendu à une société civile immobilière est quasiment condamné à y rester, en devenant sauf accident quasiment inaliénable par la société elle-même, étant rappelé que la pierre aura été remplacée par des parts sociales qui en sera la représentation juridique et dont la cession présente l’avantage d’être simplifiée. Pour cette raison, il est conseillé de constituer une société civile immobilière pour recevoir chaque bien immobilier indépendamment des autres, quand bien même les charges de gestion de ces différentes sociétés en sera augmenté d’autant. Il faudra encore être très attentif dans l’hypothèse de la location de bien meublés dont la nature est commerciale, avec le risque de requalification de la société civile immobilière en société commerciale, et de redressement fiscal par assujettissement de droit à l’impôt sur les sociétés en lieu et place de la transparence fiscale qui aurait été choisie à sa constitution. La création d’une société civile immobilière pour recevoir un immeuble affecté à une résidence principale devra également faire l’objet d’une réflexion particulière, en ce que les avantages liés à la détention par un personne physique de sa résidence principale seront perdus par la mise en société de cet immeuble. Enfin, les fondateurs de pareille société devront impérativement fuir comme la peste les montages ou clauses excessivement intelligentes pouvant les conduire à consommer un abus de droit fiscal. Pour résumer, la gestion patrimoniale oui. L’optimisation fiscale non.
Bas de page
1 Tel a été le cas de la dématérialisation en 1984 des actions laquelle a eu pour conséquence une imagination sans limites pour créer des figures hybrides sur les marchés financiers, à laquelle certains auteurs attribuent la crise financière de 2008.
2 M. Cozian, Du bon usage des sociétés civiles immobilières ? Recueil Dalloz Sirey 1994 p.199
3 La propriété d’un immeuble peut néanmoins donner naissance à des obligations spéciales à la charge de son propriétaire, dites proptem rem
4 Tel est le cas notamment dans le cadre d’une « vente à soi-même » dite encore « owner’s buy out » (OBO)
5 Prélèvement Forfaitaire Unique au taux de 30 % au jour de la rédaction de ce texte