RESUME
La vente en viager, qu’elle soit assortie ou non d’une rente, entre dans la panoplie habituelle des formules proposées pour permettre aux propriétaires d’un ou plusieurs biens immobiliers de trouver les ressources financières devant leur permettre de faire face à une diminution de leurs revenus, pour cause de retraite notamment, en même temps qu’à des dépenses nouvelles en raison de leur âge, d’une maladie ou d’une éventuelle dépendance. Par analogie avec tout autre remède, son intérêt mérite néanmoins de dresser le bilan entre ses avantages et ses risques, outre la nécessité également de le comparer avec d’autres opérations concurrentes. Il sera démontré ci-après que ce bilan justifie pour le moins de s’interroger avant de s’engager dans cette opération.
DEVELOPPEMENTS
Dans un pays de propriétaires immobiliers qui ont pu bénéficier pendant plusieurs décennies d’une période extraordinairement favorable à la constitution de patrimoines immobiliers, lesquels patrimoines immobiliers ont bénéficié de surcroît de très fortes plus-values dans certaines régions, la tentation est forte au moment de faire face à une diminution de ses revenus pour cause de retraite en même temps qu’à toutes sortes de dépenses nouvelles pour cause de grand âge, de maladie ou de dépendance, de penser au viager. Ce avec l’objectif de monétiser tout ou partie de ses biens immobiliers en conservant de surcroît la jouissance de son domicile jusqu’au jour de son décès. La vente en viager est en effet une opération dite viagère, en ce que tout ou partie de ses effets ont vocation à durer autant que la vie d’une ou plusieurs personnes déterminées, par opposition aux autres opérations devant s’éteindre à une date certaine. Elle constitue de ce fait une opération essentiellement aléatoire devant produire ses effets dans la durée, dans la limite de la date du décès devant mettre un terme à ses effets. En pratique, il est souvent prévu une rente viagère devant être payée pendant la vie du ou des créditsrentiers, et dans le cadre d’un viager dit occupé, le ou les vendeurs en viager conservent de leur vivant la jouissance du bien vendu (usus) en même temps que la perception de ses éventuels loyers (fructus) jusqu’au jour du premier ou du dernier décès d’entre eux. Diverses clauses particulières peuvent poursuivre l’objectif de réduire les conséquences potentiellement dommageables de cet aléa, sans jamais permettre de l’évacuer totalement. Ceci sauf à conclure une vente classique qui est un contrat instantané emportant paiement d’un prix déterminé et parfaitement dépourvu d’aléa, outre le transfert de propriété devant se produire en principe au jour de l’entier paiement du prix convenu.
Le caractère essentiellement aléatoire de la vente en viager emporte diverses conséquences pratiques qui réduisent considérablement son champ d’application. Compte tenu de leur appétence plus que limitée au risque et aux aléas, aucune banque ne consent généralement à financer une acquisition en viager, avec la conséquence que le vendeur en viager devra trouver un acquéreur pouvant financer son acquisition avec ses seuls fonds propres. Ce qui limite en soi déjà considérablement la possibilité de conclure pareille vente, outre les délais très longs qui s’imposeront le plus souvent pour trouver pareil acquéreur. Une deuxième conséquence pratique se déduit de ce que l’aléa de la vente est d’autant plus considérable que le ou les vendeurs sont jeunes. Pas d’autre possibilité pour limiter autant que faire ce peut cet aléa que de réserver la vente en viager aux propriétaires d’un certain âge, le plus souvent par-delà 70 voire 80 ans. Ce qui exclut de facto tous les propriétaires plus jeunes pouvant également souhaiter monétiser des biens immobiliers pour faire face à des besoins de financement. De surcroît, la vente en viager ne peut en pratique jamais être conclue en faveur d’un héritier, sous peine de se trouver fiscalement exposée à être requalifiée en une donation déguisée, et exposée aux conséquences d’une fraude fiscale. Elle ne peut donc être conclue que par des propriétaires dépourvus d’héritiers, sauf leur volonté de priver leurs héritiers de leur patrimoine immobilier. Ce qui limite d’autant plus son champ d’application. Telles sont les faiblesses intrinsèques de la vente en viager expliquant que le législateur français a entrepris en 2006 d’institutionnaliser en France une opération concurrente, savoir le crédit viager hypothécaire, avec l’objectif d’ouvrir aux propriétaires français un nouveau procédé de financement de leurs retraites alors que cette question commençait à se poser. Un examen plus attentif des conditions de la vente en viager révèlera ci-après diverses constatations rendant potentiellement inacceptables la vente en viager. La première d’entre elles est la décote du bien dépendant de l’âge du ou des vendeurs qui leur est imposée, ce par application d’abaques ou de savants calculs qu’une personne normalement intelligente ne peut pas comprendre. En pratique, s’agissant d’un viager occupé et que la vente soit assortie ou non d’un bouquet, le vendeur doit accepter une décote de son bien de 40 % s’il a plus de 80 ans, de 50 % s’il a plus de 70 ans, et pouvant atteindre 60 % à l’âge de 60 ans. Pareilles décotes immobilières ne seraient évidemment acceptables par aucun vendeur dont l’âge, la maladie, la dépendance ne les contraindraient pas à les consentir, à supposer qu’ils puissent en comprendre la détermination qui leur est imposée. De ce point de vue, la vente en viager confine à un abus de dépendance économique. A cette décote, il convient d’ajouter encore le risque d’insolvabilité de l’acquéreur qui s’est engagé à payer une rente viagère, sachant que le champ d’application des procédures collectives, anciennement dites de faillite, a été considérablement étendu, en pouvant conduire à un effacement complet de la dette. Ce qui explique le développement commercial des ventes viagères dépourvues de la rente viagère habituellement prévue. Certains organismes parfaitement conscients de ce risque proposent de réinventer le viager par le recours à des mécanismes assurantiels qui n’ont semble-t-il pas convaincu. Pour finir, la rente viagère est exposée à une fiscalisation, avec la conséquence d’ajouter des impôts à tous ceux déjà acquittés sur les revenus ayant permis la constitution d’un patrimoine immobilier.
Ce constat explique que d’autres formules de financement ont été recherchées par des propriétaires. Mis à part le crédit viager hypothécaire qui n’a guère trouvé les banques consentant à le pratiquer en raison de la crise financière en 2008, le démembrement de propriété consistant à céder la nue-propriété d’un bien immobilier à un acquéreur en en conservant l’usufruit ressemble à certains égards à la vente en viager, en ce qu’il permet de monétiser la valeur d’un bien tout en en conservant la jouissance. Par application des règles fiscales, la décote appliquée à la valorisation de la nue-propriété apparait infiniment moins pénalisante que celle exigée par les viagers, savoir seulement 20 % à l’âge de 80 ans en lieu et place d’une décote de 40 % pour le viager. Par comparaison avec le viager, la cession de nue-propriété est un contrat instantané et dépourvu d’aléa, en excluant tout risque d’insolvabilité de l’acquéreur dès lors que le transfert de propriété du droit démembré ne s’opère qu’après entier paiement du prix convenu. De ce point de vue, la cession de nue-propriété ressort déjà infiniment moins lésionnaire et risquée que la vente en viager. Pour autant, elle a pour conséquence d’exiger l’accord en même temps du vendeur devenu usufruitier et de l’acquéreur devenu nu-propriétaire concernant tous actes de disposition et d’administration de l’immeuble, outre toutes les possibilités de litiges conservant les décisions de simple conservation de celui-ci. Tels écueils ont pour conséquence de dissuader les banques de financer pareilles opérations dès lors que l’immeuble devant servir d’assiette à une hypothèque est exposé à pareils risques. Avec la conséquence qu’elles ne trouvent quasiment jamais acquéreur, et qu’elle exigent en toute hypothèse beaucoup de temps pour le trouver.
Une autre opération connue de longue date par les notaires mérite de subir la même analyse comparative de ses avantages et inconvénients. Cette opération est habituellement dénommée « vente à soi-même » ou « owner’s buy out » (OBO). Elle consiste pour le propriétaire d’un bien à constituer une société à laquelle il décide ensuite de vendre son bien. Cette société est généralement pluripersonnelle en réunissant plusieurs associés, mais elle peut être également unipersonnelle, bien que le recours à une société unipersonnelle exige une certaine prudence. Cette société est le souvent constituée avec un capital social modeste pouvant être déterminé arbitrairement de la manière la plus libre entre ses associés. Par exemple 100 € ou 1 000 €. Elle peut réunir parmi ses associés le ou les propriétaires vendeurs, sans que leur présence soit obligatoire, en même temps que son conjoint, un ou plusieurs enfants ou autres parents, voire tous autres tiers. Cette société peut être une société civile dite immobilière, une SARL ou une société par actions. Il est conseillé de constituer une société différente pour l’apport de chaque immeuble, quand bien même le cout de leur gestion peut en être augmenté. La société devient ensuite juridiquement la propriétaire du bien par l’effet d’une vente classique reçue en l’étude d’un notaire entre elle-même et son propriétaire. Pour les besoins de la réalisation de cette vente et du paiement de son prix, la société ainsi constituée souscrit un crédit bancaire. Le vendeur reçoit ainsi le prix de la vente correspondant exactement à la valeur de son bien, diminuée des droits de mutation entre vifs, lesquels concernent toute vente immobilière, ainsi que des éventuels frais d’agence, sachant qu’il peut même réaliser l’économie de ces frais d’agence s’il constitue luimême sa société, ou s’il saisit son notaire à cet effet. De la sorte, cette opération constitue un procédé de financement qui permet la monétisation du bien vendu, avec la possibilité de surcroît pour le propriétaire de conserver indirectement le bien qu’il lui a vendu par l’intermédiaire de cette société.
L’avantage essentiel de la « vente à soi-même » ou « owner’s buy out » (OBO) par comparaison au viager est que cette opération n’implique absolument aucune décote de la valeur du bien immobilier. Celle-ci n’est pas même envisageable, puisque le droit fiscal exige que la vente s’opère au plus près de la valeur vénale du bien. Dès le jour même de la réception de la vente en l’étude d’un notaire, un associé détenant la majorité des parts ou actions dans la société devient indirectement le propriétaire du bien vendu à la société, avant même le complet remboursement du crédit. L’hypothèse peut être envisagée dans laquelle il est prévu que le propriétaire vendeur détient une seule part ou action, alors que la totalité du capital social appartient pour le surplus au conjoint, à un enfant en particulier, à un neveu ou nièce, ou à quelque autre tiers devenant de la sorte propriétaire indirectement par l’intermédiaire de la société ainsi constituée.
Par comparaison avec le viager, la différence ressort plus que considérable. La « vente à soi-même » concerne toutes les classes d’âge sans être réservée aux seuls propriétaires âgés ou très âgés, elle peut être conclue en associant dans la société des héritiers avec l’objectif de conserver le bien dans la famille sans s’exposer à la présomption légale de donation, et elle trouve ses financement bancaires de la même manière qu’un crédit immobilier habituel à destination des particuliers. Pour finir, elle n’exige pour la conclure que le seul délai d’obtention d’un crédit immobilier, sans devoir attendre des mois ou des années pour trouver un acquéreur comme tel est le cas dans le cadre d’une vente classique.
Surtout, l’opération de financement initiale se double d’une opération de gestion patrimoniale permettant la transmission de biens immobiliers en prévision d’une succession, voire au service du règlement d’une succession déjà ouverte, ce en jouissant de toute la liberté contractuelle qui régit la rédaction d’une société civile immobilière. Le premier avantage évident de la constitution de cette société est la liberté de diviser son capital en un nombre de parts sociales ou d’actions dont le partage pourra être réalisé de la manière la plus simple au profit des héritiers ou bénéficiaires d’un testament ou d’une donation. Par exemple le capital social pourra être divisé librement en 300 parts sociales ou actions en prévision de leur répartition entre trois personnes, savoir le conjoint survivant et deux enfants destinés à recevoir chacun 100 parts au jour de l’ouverture de la succession. Les statuts de cette société peuvent également constituer un instrument juridique infiniment plus performant et sur qu’une simple testament ou une donation, s’agissant d’organiser avec une très grande liberté les relations entre ses associés de leur vivant et après leurs décès, y compris sur plusieurs générations. Par comparaison avec une donation simple qui est irrévocable, ces statuts peuvent être modifiés en cas de mésentente entre les associés, incluant la possibilité de l’exclusion pure et simple d’un associé. Ils peuvent interdire l’entrée dans la société d’un héritier par l’effet d’une clause d’agrément. Par comparaison avec un testament ou une donation « au dernier vivant » qui présentent le risque de pouvoir être révoqués unilatéralement, les statuts pourront prévoir les conditions et modalités de leur modification. Ce avec le double avantage que cette modification ne pourra pas demeurer secrète, à l’égal d’un testament ou d’une donation « au dernier vivant », et qu’elle ne pourra pas se réaliser sans l’accord du bénéficiaire de telle manière à interdire par avance toute mauvaise surprise. L’avantage de la vente ainsi organisée est que la liberté contractuelle du propriétaire vendeur n’est limitée ni par la réserve héréditaire ni par le rapport successoral puisque, sous réserve de la preuve d’une fraude à la charge de celui qui l’invoque, elle ne constitue ni une donation, ni un testament. Avec la conséquence de permettre au propriétaire de retrouver toute sa liberté contractuelle pour disposer de son patrimoine de son vivant. La liberté contractuelle régissant les statuts de cette société permettra d’organiser sur mesures par avance toutes sortes de situations, y compris les plus complexes dans le cadre par exemple de familles recomposées. Etant rappelée néanmoins la nécessité de ne pas franchir les quelques interdits demeurant, et surtout de ne s’exposer ni aux conséquences de la fraude, ni à celles d’un éventuel abus de droit fiscal par des montages imprudents ou croyant pouvoir être excessivement intelligents. Les éventuelles opérations de démembrements de parts sociales ou d’actions, qui sont juridiquement possibles, appelleront de ce point de vue la plus grande prudence en ce qu’elles sont particulièrement surveillées.