RESUME
Par comparaison avec ceux d’autres catégories de sociétés, les statuts des sociétés civiles immobilières sont réputés ne soulever aucune difficulté particulière, en laissant croire à leurs fondateurs que ceux-ci pourraient sans crainte en acheter des formulaires moyennant un prix modeste, ou plus simplement encore les trouver gratuitement sur Internet. Tel point de vue ignore qu’à la différence des autres formes sociales pouvant être envisagées concurremment, les sociétés civiles de droit commun incluant les sociétés civiles immobilières dites de gestion ne sont régies que par une réglementation juridique embryonnaire figurant dans le code civil. Ce qui laisse une place considérable à la liberté contractuelle avec toutes les mauvaises surprises pouvant en résulter. Dans le même temps, les fondateurs procédant de la sorte se privent de la possibilité qui est la leur d’exercer cette liberté dans toute son étendue, pour adapter la société qu’ils constituent à leur situation familiale et patrimoniale. Sans prétendre à l’exhaustivité qui exigerait de longs développements, les observations à suivre rappelleront quelques pistes. Deux catégories de clauses statutaires méritent réflexion. Celles qui sont obligatoires d’une part. Et celles qui ne le sont pas d’autre part, que l’on ne trouve généralement dans aucun formulaire, mais qui mériteraient d’être prévues dans les statuts avec l’attention requise concernant leur rédaction.
DEVELOPPEMENTS
Parmi toutes les clauses dont la présence est obligatoire sans lesquelles la société ne peut pas être constituée, la première est celle qui détermine son objet social. Cette détermination de l’objet social exige un soin particulier souvent négligé par leurs fondateurs dans les sociétés civiles immobilières, quand ceux-ci se limitent à recopier les formules types qu’ils peuvent trouver. Tel comportement ignore la spécificité des sociétés dites de personnes, catégorie à laquelle appartiennent les sociétés civiles, par opposition aux sociétés dites de capitaux, dont l’exemple le plus célèbre est la société anonyme (SA) et désormais la société par actions simplifiée (SAS). Dans une société civile en effet, la délimitation de l’objet social telle qu’elle est inscrite dans les statuts emporte des conséquences juridiques rigoureuses que l’on ne retrouve pas dans la SARL ou les sociétés par actions. A la différence des sociétés par actions, une société civile ne peut conclure aucun acte ou exercer aucune activité dépassant les limites de son objet social telles qu’elles ont déterminées par ses statuts. Avec le risque que les actes conclus par sa gérance lui soient inopposables s’ils dépassent ces limites, en engageant la gérance sans engager la société. Cette incompréhension se révèle de manière récurrente lorsque la société civile immobilière détentrice d’un patrimoine immobilier est mise à contribution pour garantir par un cautionnement un crédit souscrit par l’un de ses associé. Si cette possibilité de conclure des cautionnement au profit de l’un d’entre eux n’a pas été prévue dans ces statuts, pareil acte dépasse les limites de l’objet social et sera de ce chef déclaré inopposable à la société. Avec la mauvaise surprise en résultant que la personne désignée en qualité de caution ne sera pas la société, mais son gérant ayant signé l’acte de cautionnement. Par ce seul exemple, l’on comprend la gravité des conséquences pouvant résulter d’une négligence dans la rédaction de l’objet social.
La deuxième clause dont la rédaction est impérative intéresse la détermination en même temps que la constitution de son capital social. Il peut apparaitre singulier que nombre de sociétés civiles immobilières se constituent avec un capital faible, voire très faible pouvant être de 1 €, puisque la loi ne leur impose aucune limite minimale. Etant ajouté que dans les sociétés civiles et par opposition aux sociétés par actions, la libération du capital social n’est pas même obligatoire aussi modeste soit-il. Une société civile immobilière peut donc déclarer un capital social très faible, y compris non libéré, alors qu’elle détient par nature des actifs immobiliers dont la valeur peut être considérable1. Par-delà les effets de mode, la détermination du capital social d’une société civile immobilière exige de ses fondateurs de réfléchir à l’objectif qu’elle poursuit, savoir n’être qu’un simple instrument de gestion d’un immeuble, ou de manière plus ambitieuse constituer indirectement un instrument de transmission d’un immeuble à un conjoint, des enfants ou tous autres tiers. Aussi bien la détermination du capital social de la société que sa constitution vont dépendre de l’objectif poursuivi. Dans le premier cas, au service d’une simple gestion immobilière, le capital social pourra être constitué par l’apport de l’immeuble à la société, lequel lui transfère sa propriété en contrepartie de la délivrance au propriétaire apporteur de parts sociales. Avec la conséquence que le capital social ne pourra pas être inférieur à la valeur vénale de l’immeuble, sous peine d’exposer cette opération à un risque fiscal pour cause de sous-évaluation. Cette opération ne peut pas servir un objectif de transmission dès lors que le propriétaire vendeur détiendra en pratique la quasi-totalité des parts sociales. Pour poursuivre un objectif de transmission, l’opération consistant en un apport d’un immeuble n’est donc généralement pas envisageable. La société sera alors constituée avec un capital social généralement modeste, par exemple 100 € ou 1 000 €, divisé entre les associés dépendant des objectifs de la transmission. Par exemple, le propriétaire vendeur pourra ne se réserver qu’une seule part sociale, alors que le reliquat sera réservé en totalité au bénéficiaire désigné de la transmission. Dans cette hypothèse, la société deviendra propriétaire de l’immeuble non pas par un apport mais par une vente immobilière classique, reçue en l’étude d’un notaire. En pratique, cette vente à la société sera financée par un crédit immobilier souscrit auprès d’une banque selon la procédure des crédits aux particuliers. De la sorte, le notaire paie au propriétaire vendeur le prix convenu de la vente diminué de ses frais, en même temps que l’associé majoritaire devient immédiatement le propriétaire du bien indirectement par l’intermédiaire de la société, ce immédiatement sans même attendre l’entier remboursement du crédit. En même temps qu’elle sert la transmission d’un immeuble, la constitution de la société civile sert un objectif de financement par lequel le propriétaire monétise sa valeur vénale, en transformant la pierre en argent. Ce avec la possibilité de conserver la jouissance de son bien, dès lors que la vente à la société serait suivie par une location à usage d’habitation ou autre. Après quoi le propriétaire devenu locataire a transmis la propriété de son bien à ou aux personnes de son choix, en encaissant sa valeur vénale en argent, en conservant sa jouissance, et sans même s’exposer aux règles du droit des succession s’agissant de la réserve héréditaire, du rapport successoral, ou de la quotité disponible spéciale entre époux mariés. Etant constaté que l’opération dont s’agit procède d’une vente et non pas d’une donation, dès lors que le prix convenu est celui de la valeur vénale de marché de l’immeuble. Cette opération parfaitement licite par elle-même est bien connue des notaires depuis longtemps, étant désignée par l’expression « vente à soi-même » ou en anglais « owner’s buy out » (OBO). Elle démontre s’il en était besoin que la seule question de la détermination et de la constitution du capital social dans les statuts de la société mérite attention. Diverses clauses facultatives mais néanmoins très utiles pourront être prévues dans les statuts pour réserver au propriétaire vendeur la totalité du contrôle de la société jusqu’au jour de son décès quand bien même il ne détiendrait qu’une seule part sociale. De multiples variantes peuvent être également envisagées pour répondre à des objectifs patrimoniaux spécifiques tels que des démembrements des parts sociales immédiatement après la constitution de la société et avant la conclusion de la vente immobilière. Par exemple tout ou partie des parts sociales de la société civile pourront être démembrées entre leur nue-propriété et leur usufruit, voire encore d’autres formes de démembrements.
D’autres clauses ne sont pas requises pour la constitution de la société civile immobilière en présentant néanmoins un intérêt potentiel tel qu’il pourrait de révéler imprudent de s’en priver. La délimitation des pouvoirs de la gérance est sans doute la plus essentielle, pour éviter que toutes éventuelles mauvaises surprises aux associés, étant rappelé que ceux-ci seront indéfiniment tenus sur leurs patrimoines par les actes accomplis par la gérance au nom de la société. Telle clause exigeant une attention particulière pour sa rédaction. Dans le prolongement, il sera utile de prévoir les modalités d’une éventuelle révocation de la gérance pour ne pas s’en remettre aux seules dispositions du code civil régissant cette question, lesquelles ne constitue qu’un « prêt-à-porter juridique » pouvant conduire à de longs procès. Dans le prolongement encore, il sera prudent d’anticiper les modalités de l’éventuelle exclusion d’un associé soulevant des difficultés, ce pour ne pas s’en remettre à la notion habituelle et pour le moins incertaine de perte de l’affectio societatis. Ici encore, une rédaction soignée sera requise sous peine que cette clause d’exclusion soit paralysée au moment où elle devrait produire ses effets. Pareille clause peut se révéler essentielle pour la survie de la société, et pour éviter sa dissolution pour mésentente avec les conséquences fiscales pénalisantes pouvant en résulter. Etant rappelé que la bonne entente entre des associés ne garantit en rien la même entente après leur décès avec leur conjoint ou leurs enfants. A cet effet, et pour prévenir par avance l’entrée dans la société d’associés potentiellement indésirables, il sera également prudent d’ajouter une clause d’agrément rédigée sur mesures. Laquelle clause pourra permettre par exemple dans une famille recomposée que le conjoint survivant ne se voie pas imposer après le décès de son époux ou épouse de cohabiter dans la société avec les enfants de ce dernier nés d’un premier lit, avec le risque que cette situation perdure dans l’hypothèse où ce conjoint survivant a le même âge que les enfants nés du premier lit. Dans l’hypothèse d’un démembrement des parts sociales de la société, il serait très imprudent de ne pas prévoir par avance dans les statuts aussi bien les modalités selon lesquelles les décisions sociales seront arrêtées, concernant aussi bien la gestion de l’immeuble, ses grosses réparations, les baux consentis donnant lieu à un droit au renouvellement et pouvant perdurer très longtemps de ce chef, la distribution des bénéfices voire le remboursement des comptes courants d’associés, et dans l’hypothèse de la vente de l’immeuble par la société, pour décider lequel entre le ou les nus propriétaires et les usufruitiers recueillent le prix de sa vente. Telles clauses statutaires ne sont nullement requises légalement par les dispositions du code civil. Mais nul besoin d’insister pour comprendre à quel point elles peuvent se révéler indispensables, et pour comprendre en même temps à quel point leur rédaction peut se révéler délicate. Plus que dans toute autre forme de société, l’extrême liberté qui régit la rédaction des sociétés civiles de droit commun, notamment immobilières, doit interpeler ses fondateurs dès avant même sa constitution.
Par-delà ces clauses statutaires non obligatoire mais dont la présence est vivement recommandée, l’étendue de la liberté contractuelle qui régit la rédaction des statuts des sociétés civiles de droit commun permet à ses fondateurs de concrétiser toutes sortes de fantasmes juridiques qui leur seraient interdits dans d’autres formes sociétaires. En organisant par exemple une gérance à vie, voire une gérance héréditaire, en créant des parts sociales assortie d’un droit de vote plural pour qu’une minorité d’associés puisse imposer sa loi à la majorité, voire en autorisant les associés à utiliser la trésorerie de la société ou son crédit dans le cadre de garanties sans s’exposer à une condamnation sur le fondement d’un abus de bien social. De ce point de vue, la société civile immobilière constitue un instrument juridique infiniment plus performant au service de la transmission d’un immeuble, entre vivants ou à cause de mort, que les autres instruments habituels tels que le testament ou la donation, qu’il s’agisse d’une donation ordinaire, d’une donation au dernier vivant entre époux mariés, ou d’une donation-partage, lesquels ne sont en réalité que des instruments juridiques très rudimentaires. Comme en toute matière, il sera néanmoins impudent d’abuser de cette liberté. Les fondateurs de pareille société devront impérativement s’interdire les montages ou clauses excessivement intelligentes exposés à une nullité pour cause de fraude, ou les exposant euxmêmes à commettre un abus de droit fiscal.
Notes Bas de page
1 Inversement, une société civile y compris immobilière peut déclarer un capital social très élevé, lequel constitue en principe la gage de ses créanciers, alors que ses associés n’auront pas apporté un seul euro pour les besoins de sa constitution